Le 28 décembre 2020, près de 70 tombes étaient profanées dans le cimetière municipal de Fontainebleau (Seine-et-Marne), entraînant la question du motif antisémite ou sataniste. Qui sont les auteurs de tels actes de vandalisme à l’encontre des morts ? « La Croix » a mené l’enquête sur ces mystérieux profanateurs.
Croix gammées tracées à la bombe, signes religieux renversés ou stèles fendues… Les profanations de cimetières sont récurrentes en France et ne manquent jamais de susciter un certain effroi. Elles interrogent aussi sur les auteurs et leurs mobiles : qui sont ces personnes qui osent troubler le sommeil des morts et diffuser des messages de haine sur leurs tombes?
Le 28 décembre 2020, à Fontainebleau en Seine-et-Marne, près de 70 tombes ont été abîmées dans le cimetière municipal, maculées d’insignes nazis et d’inscriptions étranges. La piste antisémite a vite été écartée, alors qu’un cimetière israélite avait été épargné non loin de là par le malfaiteur. Dans la ville voisine de Melun, des inscriptions semblables avaient également été retrouvées sur la devanture d’une crèche.
« Il faut se méfier des interprétations rapides »
Dénouement très rare dans ce genre de dégradation, une personne, qui présentait un profil psychologique instable, a pu être identifiée par les enquêteurs. « Il faut se méfier des interprétations rapides, met en garde Frédéric Valletoux, le maire (LR) de Fontainebleau. On a cru à un antisémite, puis à un antichrétien… En réalité, il s’agissait d’un type un peu paumé, comme souvent. »
Impute-t-on trop facilement ces actes de vandalisme à des militants d’extrême-droite ? Dans le Grand Est, une des régions les plus touchées après les Hauts-de-France, des vagues de profanation ont frappé les cimetières israélites alsaciens en 2019. Interrogé par La Croix, le parquet de Saverne répond que l’enquête est en cours, mais que les profanateurs n’ont pas encore été identifiés.
Une idéologie antisémite parfois très marquée
Difficile, en réalité, d’établir un profil précis de ces malfaiteurs, comme l’explique Nicolas Le Coz, lieutenant-colonel de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH) : « Il ne faut exclure aucune piste car aucun profil ne ressort particulièrement. Les enquêtes qui ne peuvent aboutir sont celles où des profanations ont été commises dans des cimetières isolés, en pleine nuit, sans traces exploitables et en l’absence de témoins. »
Parmi ces profanateurs, certains affichent pourtant une idéologie antisémite très marquée, comme Emmanuel Rist, un néonazi condamné pour avoir saccagé 127 tombes du cimetière juif de Herrlisheim, en Alsace, en 2004. La montée en puissance des actes antisémites en France, ces dernières années, laisse également penser que de telles provocations peuvent s’inscrire dans ce climat de haine.
« On observe souvent des croix gammées ou des croix celtiques et des HH (“Heil Hitler”, NDLR), symboles du nazisme, sur les tombes, décrit Arnaud Esquerre, sociologue et auteur de l’enquête Les Os, les Cendres et L’État (1). Il n’y a jamais d’inscriptions à caractère sexuel, mais politique. Ces actes symbolisent donc une idéologie et ils ne peuvent être seulement attribués à de jeunes idiots alcoolisés. »
Les vieux cimetières israélites des campagnes parmi les plus visés
Symboles d’une culture juive enracinée en Alsace, les vieux cimetières israélites des campagnes sont parmi les plus visés. « Ces profanateurs sont forcément marqués par une idéologie antisémite, soutient Yoav Rossano, chargé de mission Patrimoine et culture au consistoire israélite du Bas-Rhin. Ils s’attaquent à l’histoire des juifs et c’est une manière d’effacer leur passé, de nier leur mémoire. »
Mais faut-il voir des adeptes d’une idéologie néonazie derrière toutes ces profanations à caractère antisémite ? « Les croix gammées ne sont pas simplement aujourd’hui le symbole de l’antisémitisme, mais de la transgression absolue, et il se trouve que la plupart sont taguées à l’envers ou n’ont pas la bonne forme, note Jean-Yves Camus, spécialiste des mouvements d’extrême droite. Les profanations ont toujours existé, elles sont bien sûr traumatisantes pour les familles, mais l’antisémitisme s’attaque surtout au vivant, il se voit à travers les agressions du quotidien. »
Des satanistes impliqués
Outre les croix gammées, on observe aussi parfois sur les tombes profanées des croix renversées ou des anges cassés. Certains des rares auteurs identifiés se revendiquent satanistes, par exemple ce jeune homme arrêté pour avoir vandalisé des tombes dans le cimetière de Cognac en 2019, ou encore ce groupe de jeunes à Toulon, qui avait fracassé la sépulture d’une défunte catholique en 1996.
« Sans faire aucune généralisation, les amateurs d’une musique black metal particulièrement sombre figurent parmi les personnes sur lesquelles la police peut être amenée à travailler comme dans des enquêtes passées, relate le lieutenant-colonel Nicolas Le Coz. Certains ont un mobile clairement antireligieux, comme cet homme qui expliquait avoir un pacte avec le diable et voulait s’en prendre à tout ce qui représentait Dieu. »
Mais le motif du rite satanique reste un mythe, si l’on en croit Olivier Bobineau, sociologue spécialiste de ce courant et auteur de l’étude Le Satanisme. Quel danger pour la société ? (2) : « Les vrais satanistes vouent un culte à leur propre personne, car la doctrine est très pointue et pousse l’individualisme à son paroxysme, décrit-il. Elle représente ce qui effraie tant notre société : la fin du lien social. Le satanisme nous dérange et, pour nous en défendre, nous lui attribuons les pires horreurs. »
Provoquer la société
Impossible, donc, de cerner des profils idéologiques précis, bien que l’âge des incriminés soit mis en avant. De jeunes adultes ou adolescents passent souvent aux aveux : « Les cimetières sont des espaces de transgression par excellence, et ces proies faciles apparaissent comme un espace de liberté idéal pour les jeunes qui cherchent à provoquer la société, analyse Damien Le Guay, philosophe et vice-président du Comité national d’éthique du funéraire. Mais il faut prendre du recul sur la façon dont ces jeunes, souvent peu diplômés et désœuvrés, sont instrumentalisés politiquement et étiquetés néonazis ou satanistes trop vite. »
Les histoires de profanations de cimetières peuvent aussi souffrir d’un effet de loupe médiatique qui déforme les faits. Très relatées dans la presse après la retentissante affaire du cimetière israélite de Carpentras en 1990, ces dégradations sont toutefois en baisse constante depuis plusieurs années. D’après les informations de La Croix, on en comptait 263 en 2017 et 164 en 2020. « Est-ce qu’elles correspondent à une perte de repères dans notre société ?, s’interroge Damien Le Guay. Ou bien est-ce le fait d’une époque désacralisée qui oublie le respect dû aux morts ? Il est impossible de tirer des conséquences vraiment claires. »
(1) Fayard, 2011, 336 p., 23 €
(2) Pygmalion, 2008, 331 p., 21,90 €
Caroline Celle